L'enfant et la sexualité

04/02/2014 16:12

A l'heure actuelle où cette question est débattue dans l'espace social, il semble important de revenir à des fondamentaux, pour expliquer la question de la sexualité infantile.

Qu'est-ce que la sexualité infantile ?

La sexualité infantile n'est pas la sexualité adulte.

De 0 à 6 ans (âge approximatif), l'enfant se met en quête de découvrir son corps dans sa dimension érogène et demande à l'adulte de l'entourer de tendresse. Il apprend aussi la pudeur et la préservation de son intimité.

De 7 ans à 12 ans (âge approximatif), l'enfant vit une période dite "de latence", c'est-à-dire où la question du corps sexué n'est plus active mais refoulée. Cette question resurgit avec la puberté, sous la forme notamment d'interrogations sur l'identité sexuée (qu'est-ce qu'une femme, qu'est-ce qu'un homme, qui suis-je...).

Toute intrusion de l'adulte dans la découverte de l'enfant à son propre corps, au plaisir érogène est transgressive. 

Cette intrusion peut ne pas être intentionnelle : l'enfant étant "la chair de sa chair", le parent ne se rend pas compte qu'il est important pour l'enfant d'avoir son espace à soi, de pouvoir s'autonomiser, ne pas se montrer nu devant ses parents ni devant autrui... La pudeur s'apprend au fur et à mesure de l'autonomisation, dès que l'enfant sort de l'état de nourrisson pour devenir en capacité de marcher. De même, les parents doivent apprendre à ne pas s'exhiber devant leur enfant, à préserver des espaces d'intimité pour eux-mêmes. La pudeur (le fait de cacher l'intime) est clairement en lien avec la civilisation, ce que le philosophe Hegel avait exprimé dans ses ouvrages sur l'esthétique.

Toute confusion de l'adulte entre demande de tendresse chez l'enfant et désir sexuel est transgressive.

Le terme « enfant » provient du latin « infans » qui signifie, en clair, « celui qui ne parle pas », mais aussi, en filigrane, celui qui n’a pas le droit à la parole. 

« Les séductions incestueuses se produisent habituellement ainsi : Un enfant et un adulte s’aiment ; l’enfant a des fantasmes ludiques, comme de jouer un rôle maternel à l’égard de l’adulte. Ce jeu peut prendre une forme érotique, mais il reste pourtant toujours au niveau de la tendresse. Il n’en est pas de même chez les adultes, ayant des prédispositions psychopathologiques [...]. Ils confondent les jeux des enfants avec les désirs d’une personne ayant atteint la maturité sexuelle, et se laissent entraîner à des actes sexuels sans penser aux conséquences ». (Ferenczi, S. « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant »).

Les enfants sont mineurs. Qu’est-ce à dire ? Ils ne sont pas achevés, n’ont pas achevé leur maturité biologique, physiologique, mentale, émotionnelle. Le monde de l’enfance doit rester le monde de l’enfance, et ne pas subir des intrusions brutales de la part d’adultes qui se croient encore des enfants mais jouent à des jeux d’adultes. 

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait pénétration pour qu’un enfant soit considéré comme abusé. Le fait que l’adulte ait posé des gestes ou mots de nature sexuelle est suffisant. Ce point est essentiel. Il peut s'agir, tout simplement, d'aborder des sujets relatifs à l'identité sexuée, au choix d'objet sexuel, à la sexualité génitale pour que cela transgresse le psychisme de l'enfant en devenir. Ou encore, d’un « climat incestuel », tel ce père qui prend son bain avec sa fille jusqu’à ses 17 ans : là, point de viol, point d’attouchement, mais des limites de pudeur génitale qui ne sont pas posées, des confusions corporelles qui nuisent gravement au développement du psychisme infantile. 

Les enfants ressentent intuitivement les violences sexuelles, mais n’ont pas toujours les mots pour les penser et les dire. Ils ressentent également la violence tyrannique, mais l’intériorisent souvent comme juste et justifiée, dans la mesure où ils se vivent imaginairement « coupables ». La sanction éducative n’est pas à confondre avec la violence. La sanction pose en effet des limites à la violence, qu’elle soit celle de l’adulte ou de l’enfant (« je fais ce que je veux », « je tape si je veux », etc.). 

L’interdit de l'inceste (inceste à entendre aussi comme intrusion des générations adultes dans la sexualité infantile) règlemente la circulation des liens entre humains. Sa symbolique est puissante, car souvent dans l’inceste il s’agit de transgressions intergénérationnelles, c’est-à-dire de confusion entre égalité et différence, de méconnaissance des limites entre son corps et celui de l’autre, entre son propre désir et le désir de l’autre que l’on projettera sur soi. Le rôle essentiel de l’éducation consiste à faire régner de façon intangible ces deux interdits et à permettre le refoulement des pulsions de meurtre et d’inceste. L’humanisation consiste bien dans ce refoulement qui s'inscrit, tout particulièrement, avec le complexe d'Oedipe.

Le complexe d'Oedipe

L'identité sexuée de l'enfant se structure de façon déterminante dans le complexe d'Oedipe.

Ce complexe est structurant pour la santé mentale de l'enfant mais aussi pour la civilisation. Car les constructions identificatoires primaires supposent aussi de traverser le complexe d’Œdipe, qui est garant de la civilisation au niveau anthropologique : interdit du meurtre et interdit de l’inceste. C’est parce que le petit garçon s’identifie à son père et qu’il désire l’évincer pour prendre sa place auprès de sa mère qu’il va rencontrer une limite fondamentale, un interdit qui permet de poser la séparation des générations, la temporalité (un avant et un après, qui fait naître la transmission par les anciens, œuvre de civilisation), la différence des sexes qui est structurante et essentielle pour l’identité, et l’autorité structurante pour créer la civilisation (le tiers structurant). Aujourd'hui, l'on ne cesse de "composer" à la recherche du tiers structurant, d'où un certain nombre de malaises de civilisation autour de la question de l'autorité, l'amplification de harcèlements et de phénomènes autoritaires (qui n'ont rien à voir avec l'autorité).

Cf. mon livre sur L'autorité, qui explique bien ces fondamentaux.

Le déni des sexes et son indifférenciation relève de la perversion qui, précisément, n'est pas parvenue à traverser ce complexe d'Oedipe.

L'enfant : un être libre ?

Certains courants pseudo-intellectuels en sont malheureusement venus à défendre une idée de la liberté qui dénie le statut de l’enfant. Il existe une complaisance de ces courants envers la pédophilie, sinon un encouragement.

Cette complaisance s’appuie sur le déni que l’enfant est un enfant (il aurait des désirs sexuels équivalents à ceux des adultes), ainsi que sur un raisonnement pervers relatif à l’éducation sexuelle. L’adulte serait donc l’éducateur à la sexualité, en confondant éducation à la sexualité et passage à l’acte transgressif sur le corps de l’enfant. La séduction exercée par l’enfant et l’adolescent qui cherchent à capter l’attention de l’adulte, y est souvent confondue et interprétée comme du désir sexuel. La transgression est justifiée ensuite par cette interprétation.

La lutte contre la pédocriminalité

La lutte contre la pédophilie et la pédocriminalité doit être prioritaire dans l'éducation des enfants. Le rôle de l'adulte est de protéger l'enfant des éventuels dangers et de lui apprendre à se protéger. Si l'enfant ne connaît pas les dangers auxquels il peut être exposé, il ne saura pas réagir et se soumettra au silence imposé par son agresseur. Bien sûr, il faut pouvoir trouver les mots justes et adaptés à chaque âge. 

Prévenir, c'est préserver l'enfant et lui apprendre le respect de lui-même, ce qui ne signifie en aucun cas de se mêler de sa sexualité ou de son "éducation sexuelle". 

La priorité à l'école, en matière d'apprentissage du respect, devrait être à la prévention de la pédocriminalité, qui surgit aussi, de nos jours, au travers des images et vidéos pornographiques aisément accessibles par les enfants et adolescents au travers internet (et qui ont des effets traumatiques)… 

Vu le nombre d'abus sexuels infantiles dont nous entendons parler, nous les thérapeutes, dans nos consultations (et sans qu'il soit même nécessaire d'aborder la question de l'amnésie traumatique), ce sujet doit alerter les parents et les gouvernants sur la priorité de la lutte contre la pédophilie et la pédocriminalité.

Ariane Bilheran, psychologue clinicienne et écrivain.

Pour aller plus loin...

Romano, H. 2014. Ecole, sexe et vidéo, Paris, Dunod.

Salmona, M. 2013. Le livre noir des violences sexuelles, Paris, Dunod.

Bilheran, A., Lafargue, A. 2013. Psychopathologie de la pédophilie, Paris, Armand Colin.