Témoignage de Mme J

05/02/2016 00:00

Parfois dans la vie, nous croisons des personnes qui favorisent notre bien-être, nous rendent heureux, plus « solaires », comme le dit Ariane ; et parfois, il y a celles qui nous détruisent : harceleurs, pervers narcissiques, manipulateurs ou malades mentaux, peu importe ; il ne m'appartient pas de les qualifier : je laisse ce soin aux spécialistes de la santé mentale.

 

Il y a 10 ans donc, j'ai rencontré au sein de l'établissement public de santé dans lequel je travaille trois personnes de la seconde catégorie : un couple de cadres et leur directeur. A commencé alors un harcèlement moral à mon encontre qui perdure encore aujourd'hui... Raison pour laquelle je souhaite témoigner, comme un exutoire me concernant, mais aussi et surtout pour aider celles et ceux qui vivent cet enfer ! Comme sans doute nombre d'entre vous, je me suis demandée pourquoi cela me tombait dessus : Jalousie ? Compétences supérieures ? Pouvoir ? Bêtise ? Ou déviance mentale ? Peut-être le tout cumulé ? Je n'ai jamais eu de réponse à cette question et sans doute n'en aurai-je jamais...

 

Quand j'y pense, mon récit dépasse l'entendement surtout lorsqu'on ne connaît pas les pratiques managériales liées à ce type de problème. Le positif c'est qu'aujourd'hui je les connais toutes, en partie grâce à Ariane Bilheran et à ses ouvrages qui ont été pour moi très éclairants et aidants ; en ce sens, je la remercie beaucoup...

 

Il y a 10 ans donc, en pleine ascension professionnelle, le Monsieur du couple de cadres en question m'annonce, je cite : « qu'il compte me détruire, qu'il n'y est pas arrivé jusqu'à présent mais que sa compagne y parviendra ». Donc acte : mon équipe que je connaissais depuis des années me tourne le dos... Je me retrouve seule... 3 mois d'arrêt de travail... En allant récupérer mes quelques affaires personnelles à mon bureau, tout a été jeté en vrac dans un carton, mon nom enlevé de tous les documents informatiques (ce que l'on appelle « la mise en scène de la disparition »).

 

Version officielle : conflit interpersonnel, c'est moi qui suis partie du service « comme une voleuse » et qui ait effacé les documents informatiques (NB : je restais pour bosser jusqu'à 19 h pendant que le directeur en question, qui était alors mon hiérarchique, ne faisait que très peu acte de présence dans la journée !). A ma reprise, je suis affectée d'autorité à des tâches de secrétaire (à bac + 5)... Pendant ce temps la fameuse compagne prend ma place. Je tiens quelques mois puis craque à nouveau et là c'est un arrêt d'un an et demi... 

 

Je demande au DRH de l'époque d'entendre ma version, ce qu'il ne fera pas puisque c'est déjà moi qui suis en tort. Au contraire, il me remet une lettre de menace... Je me tourne alors vers la « justice » et dépose alors plainte en gendarmerie (MDR !!!! -morte de rire-) : « affaire classée sans suite ». A l'époque les lois sur le harcèlement moral n'existaient pas, quant à l'état d'esprit de certains gendarmes, je préfère ne pas vous dire ce que j'en pense !!!!...

 

Reprise un an et demi après : je suis affectée en remplacement dans un service qui ne se trouve pas au sein de l'hôpital où j'étais et donc à des kilomètres de mon domicile (sans compensation financière bien entendu) puis dans un service fermé et désaffecté où je resterai trois mois !

Je ne vois personne de la journée, je n'ai aucune tâche à faire, bref le placard !

Je m'amène donc à lire : des livres sur le harcèlement moral (hé tant qu'à faire... :) : Hirigoyen, Pezé, Ariane Bilheran bien entendu etc. et là, première prise de conscience que je vis un harcèlement moral et que je suis impuissante à arrêter ce massacre. Vont alors commencer au niveau national les « affaires » de suicides liés au travail : Orange, Renault etc. La prise de conscience est d'autant plus violente... mais les langues se délient, on commence à en parler dans la presse, à la télévision... aucune entreprise ne semble épargnée, aucun domaine non plus... Je mets en place un blog sur le sujet durant quelques années... Puis sortira enfin une loi sur le sujet... Première résilience...

Au bout de trois mois, la direction générale décide je cite : « que cela a assez duré !é. Punition terminée ? Que nenni ! Je vais ensuite errer comme un fantôme de poste en poste (je devrais plutôt dire de placard en placard) deux ans par-ci, deux ans par-là... et quel que soit l'excellent travail effectué et mes excellentes notations, rien n'y changera... Cela va sans dire : pas de nomination de cadre me concernant malgré mon bac +5...

 

Puis je serai appelée à la direction générale où mon salaire sera augmenté (sans nomination de cadre mais c'était déjà une première reconnaissance) mais la compagne en question qui m'avait laissée tranquille dans mes placards successifs va réveiller sa jalousie et multipliera les courriels à la direction à mon encontre, me suivra dans les couloirs, même parfois jusqu'aux toilettes... Bref, l'enfer recommence...

Jusqu'à sa mutation, premier soulagement pour moi... Grâce à une main tendue d'une DRH que je ne remercierai jamais assez, je ferai même de la prévention sur le harcèlement et le stress au travail... Seconde résilience... C'était sans compter la présence de son mari resté dans l'entreprise et de mon ancien directeur.

Puis malheureusement pour moi, la direction générale change.

A lieu alors un concours de cadre auquel je me présente : je vois sortir à l'issue de l'entretien avec le jury mon ancien directeur sourire triomphant aux lèvres. Bien entendu je n'ai pas été nommée !

A l'issue du concours, je suis convoquée par la nouvelle DRH qui m'annonce que je n'ai pas eu le concours mais que l'agent nommé est en maladie et qu'il faut que je le remplace !!!! Ce que je refuse bien entendu... Je suis donc convoquée par le nouveau directeur et assiste encore une fois à un entretien surréaliste : ou j'accepte un poste de secrétaire ou je suis virée de la direction. Je préfère donc être virée une fois de plus... Bien entendu, mes formations sont « foutues en l'air » et tout le travail effectué jusqu'alors également. A nouveau, 4 mois d'arrêt de travail...

 

A mon retour, je prends un nouveau poste qui certes correspond à mon niveau de compétence à Bac+5 mais sans nomination ni rémunération correspondante...

Mon travail est toujours empêché par les deux individus en question, le travail fait de moins en moins sens, je ne suis associée à aucune décision managériale...

Je pense alors que l'accumulation fait son œuvre : je refoule mes pensées et me jette malgré tout dans le travail, et de manière insidieuse mon corps commence à décompenser : 3 interventions chirurgicales dans la même année : je subis une première opération en raison d'un trouble musculo-squelettique puis c'est une atteinte gynécologique pour laquelle j'aurais deux opérations (je suis niée en tant que personne et surtout en tant que femme !). J'arrive à la dernière avec une fatigue indescriptible. Je m'écroule : burn out... J'ai, de plus, eu des complications suite à la dernière intervention pour lesquelles j'ai dû être admise à l'hôpital où je travaille.

Une erreur de diagnostic a failli me conduire au pire : autre prise de conscience : j'ai failli y rester !

A l'issue, je développe en plus du reste un stress post-traumatique...

 

Je vous passe bien entendu les détails vécus durant ces 10 dernières années : affectation dans un bureau de 2 mètres carré sans fenêtre, une autre fois : attribution d'un siège cassé ou encore changement de tous les ordinateurs du service sauf le mien... etc. etc. et au niveau vie privée : compagne du couple de cadres qui me suivait dans la rue, venait attendre mon enfant à la sortie de l'école, puis agression par son enfant du mien au collège, ils sont venus s'installer dans mon village à 300 mètres de chez moi etc. etc.

 

J'ai l'impression depuis 10 ans que je travaille au sein d'un camp de concentration sous régime totalitaire où mon corps est présent mais pas mon esprit, luttant chaque jour pour conserver mon intégrité et mes valeurs, seules choses qu'ils ne peuvent pas me prendre... Ce quotidien que je vous décris de l'hôpital public est celui d'une maltraitance institutionnelle devenue « ordinaire » et qui ne pourra être stoppée que par la seule libération de la parole. Il y règne une loi de l'omerta qui tue, non seulement son personnel, mais aussi ses patients et le service public dans son ensemble... Chaque année une cinquantaine de médecins hospitaliers se suicident (voir récemment le suicide d'un Professeur de cardiologie à l'APHP hôpital Pompidou.)

 

Au-delà du drame humain pour cet homme et sa famille - marié 5 enfants - combien de patients laisse-t-il désœuvrés et dans la souffrance ? Combien d'années faudra-t-il pour former un autre Professeur de cardiologie avec de telles connaissances ? A l'heure où la France se vante d'avoir la meilleure médecine au monde, qui parle des problématiques de harcèlement moral au sein des hôpitaux ? Qui parle de ces bons médecins et autres personnes investies que l'on pousse vers la sortie ou le suicide ? Sans parler bien entendu des autres professionnels de santé (infirmières, aides-soignants... mais aussi personnels administratifs, techniques...) également en souffrance. Il en est de même dans l'armée, la police, la gendarmerie... Des drames et des souffrances passés sous silence, combien faudra-t-il de morts pour que nos responsables bougent au plus haut sommet de l'Etat ? C'est un véritable fléau et problème de santé publique qu'il est urgent de régler...

 

Nous sommes en charge de recevoir des patients, de « prendre soin » alors que nous ne « prenons pas soin entre nous »... Car oui nous avons des médecins formidables et des équipes extraordinaires, mais nous en avons aussi qui ne savent pas ou plus ce que soigner veut dire... et ce sont souvent ceux-là qui sont au pouvoir, cautionnés par des directions incompétentes qui laissent faire...

 

Voilà ce qu'est la souffrance au travail... Vous aussi ne restez pas seuls, témoignez de ce qu'il se passe dans nos hôpitaux publics...

 

Aujourd'hui je suis en arrêt depuis des mois, je me soigne une fois de plus car malheureusement pour eux je ne suis pas suicidaire... Avenir ???? Mais qui connaît le sien ?

 

Autre prise de conscience : j'ai entrepris aujourd'hui un second travail thérapeutique (le premier ayant eu lieu il y a 10 ans et n'ayant servi à rien. Il convient dans ce type de traumatisme de bien choisir son thérapeute, cela n'a pas été le cas à l'époque...). Il existe aujourd'hui de plus en plus de consultations spécialisées dans la souffrance au travail et surtout des thérapeutes capables d'humanité. J'ai donc travaillé seule avec mes lectures, sur internet, reportages TV, documentaires, rédaction d'un blog etc. et je n'ai jamais cessé cette démarche même lorsque j'ai été résiliente. J'évolue plus vite aujourd'hui en quelques semaines qu'en un an et demi la dernière fois. Les séances sont souvent difficiles pour moi mais nécessaires à mon cheminement qui s'effectue dans le bon sens puisque je vais de mieux en mieux...

 

Ce que je ne veux plus aujourd'hui : c'est continuer à travailler dans cette structure qui est trop maltraitante pour moi. Mon départ est donc indispensable à la préservation de ma santé physique et mentale. Je n'y apporterai plus rien de toute façon, j'ai lâché prise complètement et je ne veux pas risquer d'y perdre ma bienveillance ou de me laisser aigrir par la souffrance qui y règne alors que j'aspire au contraire...

 

Mon espoir et mon vœu le plus cher : diriger ma propre structure dédiée au bien être des autres... Pas d'idée précise pour l'instant mais c'est l'idée générale... Quand les autres vont bien cela me rend heureuse... Ma première priorité étant de prendre soin de moi pour mieux prendre soin des autres ensuite...

Je pense que les prises de conscience successives, même si difficiles, sont nécessaires au changement de soi car nous ne pouvons changer les autres. Changer ma vision du monde, pour mieux changer le monde. Voilà ma seule ambition aujourd'hui. Je pense évoluer vers plus de sagesse et c'est ce que je recherche... là est le positif...  

 

Mes peurs et mes doutes : aujourd'hui j'ai perdu le sens du travail, c'est très difficile à vivre pour moi, et j'ai peur de ne jamais le retrouver... Ici et maintenant, je suis là avec mes valeurs et reste persuadée malgré tout que ce sont les bonnes valeurs morales qui changeront notre monde du travail, donc celui que nous laisserons à nos enfants, et notre façon d'être et de vivre ensemble...

 

Il faut bien entendu que les victimes effectuent un travail thérapeutique pour sortir de cette souffrance, mais c'est aussi le travail qu'il faut soigner car soigner seulement la victime est inutile... Et mettre en place des réparations : justice sociale, reconnaissance au travail etc... C'est le travail qui doit être adapté à l'homme et non l'homme qui doit s'adapter au travail. Ce sont les pratiques managériales qui doivent changer pour tendre vers un management juste, humain et durable. Car une personne heureuse dans son travail sera bien plus productive que celle qui sera dans la souffrance.

Et enfin, garder l'espoir, que le temps fera son œuvre et que les harceleurs seront un jour punis pour leurs actes répréhensibles afin que les victimes puissent sortir de ce statut et se reconstruire enfin...

 

Encore merci Ariane...

 

Voici la liste des ouvrages qui ont été très aidants tout au long de ces années (liste loin d'être exhaustive !) :

 

Le harcèlement moral – Marie-France HIRIGOYEN

Risques psychosociaux au travail, vraies questions, bonnes réponses  - Olivier BACHELARD, Michel DEBOUT etc.

Prévenir le stress et les risques psychosociaux – Benjamin SAHLER – Editions ANACT

Harcèlement, famille, institution, entreprise – Ariane BILHERAN

Tous des harcelés ? - Ariane BILHERAN

Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, journal de la consultation « souffrance et travail » 1997 – 2008 Marie PEZE

Travailler à armes égales - Marie PEZE

Pour en finir avec les tyrans et les pervers – Yvonne PONCET-BONISSOL

Les manipulateurs sont parmi nous – Isabelle NAZARE AGA

Un merveilleux malheur – Boris CYRULNIK

Manuel de survie dans le monde du travail – Jacques SALOME

A qui ferais-je de la peine si j’étais moi-même ? - Jacques SALOME

Souffrance en France, la banalisation de l’injustice sociale – Christophe DEJOURS

Donner un sens au travail, promouvoir  le bien-être psycholog ique – IRSST

Les cahiers des RPS – Revue tri-annuelle CATEIS

Risques psychosociaux – Catherine BRUN ARACT Aquitaine

Dépister les risques psychosociaux, des indicateurs pour vous guider – INRS février 2010

Soyez solaire et libérez-vous des personnalités toxiques - Ariane BILHERAN

Eloge de la faiblesse - Alexandre JOLLIEN

Vivre sans pourquoi ? - Alexandre JOLLIEN

Tout va mal je vais bien - Christophe BLOCH

Le pervers narcissique - Matiale O'Briens

Se changer, changer le monde - Christophe André, Jon Rabat Zinn, Pierre RAHBI et Matthieu RICARD

Du bonheur un voyage philosophique - Frédéric LENOIR

Trois amis en quête de sagesse - Christophe ANDRE, Alexandre JOLLIEN, Matthieu RICARD